Comme les animaux, oiseaux compris, je suis adepte de la loi du moindre effort - mais une loi bien comprise, c'est-à-dire quand l'efficacité est au rendez-vous - alors je privilégie regulièrement pour mes sorties les zones humides; là, toutes sortes d'oiseaux d'eau, de forêt, de savane, etc. peuvent être observées. L'habitat est par ailleurs dégagé et les observations ainsi plus aisées.
Pourtant, ce jour-là, j'avais prévu de passer la matinée au Parc National du Banco.
Le Banco, c'est le poumon d'Abidjan: plus de 3000 ha de forêt dense aux portes de la Capitale. Ce milieu forestier, s'il est riche pour l'avifaune, est ingrat pour l'ornithologue amateur, surtout quand, comme moi, il n'est pas le plus véloce en identification des espèces par leurs chants ou leurs cris. Car la plupart des oiseaux évoluent dans la canopée, alors pour les repérer avec les yeux, c'est pas facile !
Mon ami Etienne, qui vient chaque mois à Abidjan pour le boulot, également par hasard pour observer les oiseaux, m'avait indiqué un massif de bambous où il avait observé de près un Tchitrec à Ventre Roux, une sorte de, disons, Gobemouche roux. Ce n'est pas que l'espèce soit rare, pas du tout, mais depuis neuf mois que j'étais en Côte d'Ivoire, je n'étais toujours pas arrivé à le photographier tandis que je l'observais régulièrement.
Ce 9 mai 2013 à 7h30 tapantes, j'arrive à l'une des entrées du Banco; la barrière est fermée et bien gardée par le cerbère, torse nue comme à l'habitude, qui me reconnait, me salue, et surtout m'informe que la dame qui s'occupe des entrées est à Yopougon dans les bouchons. Vers 8h, elle arrive enfin; après les rituels d'usage habituels, après avoir déboursé les 5000 FCFA (pour les étrangers non CéDéAO) et récupéré le "ticket", je m'engouffre en voiture sur la piste forestière. 8h! Il est bien tard pour commencer des observations, mais enfin.
Au bout de 500 mètre, un Autour à Longue Queue s'envole d'un bosquet sur le bord de la piste puis se pose non loin. De la voiture, souvent formidable affut temporaire, je tente de le photographier. Oui, j'y arrive, mais le résultat n'est pas fameux: le peu de luminosité m'oblige a pousser les ISO et donnera un gros grain sur le cliché, le bestiau est de dos et ne montre pas son beau ventre maron-roux. Clic-clac deux fois moteur tournant; et puis je tente, j'arrête le moteur pour éviter les vibrations... Cette fois ça n'a pas marché, il s'envole pour se perdre entre les arbres.
Mais c'est une première pour moi, alors je conserve les images, dans la tête et dans l'appareil photo, bientôt dans l'ordinateur.
Voiture garée quelques kilomètres plus loin, je marche vers l'objectif, sur un petit sentier envahi par la végétation il y a un mois, hélas devenu piste éventrant la forêt - à coup de Bulldozer - aujourd'hui. Sans doute est-ce nécessaire de civiliser le Banco, pour préparer le retour (espéré) prochain des touristes "westerner", après des mois de crise ?
Une fois le massif de bambous atteint, je cherche le meilleur endroit pour me poster. Les critères? Etre le plus près possible tout en étant un peu loin, être bien caché tout en pouvant voir convenablement dans toutes les directions, trouver des branches placées comme il faut pour pouvoir attacher le filet de camouflage qui me servira d'affut sommaire, et, surtout, disposer d'une souche ou d'un tronc d'arbre au sol pour y poser ses fesses. C'est la moindre des choses quand on sait que l'on va passer plusieurs heures sans bouger. Espérer enfin que, une fois trouvé cet endroit idéal, il ne soit pas un repaire de fourmis.
Oui, plusieurs heures sans bouger, ou presque. Les oiseaux n'ayant pas d'odorat - une chance pour l'ornitho fumeur - je m'autorise de temps en temps une cigarette, tout en prenant soin de récupérer les mégots. Le temps passe; quelques rondes d'oiseaux relativement bruyantes, passent régulièrement dans la canopée, invisibles; cris de singes; le temps passe encore; un souimanga femelle, quasi impossible à identifier, évolue un moment devant l'affut; il pleut légèrement de temps en temps tandis que rien ne semble vouloir se montrer en face, dans les bambous.
Trois heures ont passé, le fumeur commence à devenir fumasse, et s'allume encore une cigarette, qu'il croit être la dernière avant de lever le camp. Mais il se plait aussi à espérer qu'une fois la cigarette entamée, un oiseau va surgir, car cela arrive très souvent. Faut-il en déduire qu'il y a cause à effet, ou que la consommation de tabac est telle que les coïncidences n'en sont pas ?
Il n'en saura jamais rien, mais le fait est qu'après la première bouffée, effectuée en baissant la tête, cette sorte de sixième sens de l'ornitho (d'autres l'ont certainement aussi en d'autres circonstances) la lui fait lever aussitôt: pourtant sans bruit, un petit rapace s'est perché sur une des branches de bambous, bien en vue. L'Autour Tachiro est tranquillement perché, sans intérêt pour l'amas verdâtre bizarre d'ou sort un tube réfléchissant... Jusqu'au premier déclenchement, d'autant plus avec flash en raison de la faible lumière. Alors il se retourne et fixe l'intrus.Encore quelques clichés et il finit par s'envoler.
Finalement, Autour Tachiro ou Tchitrec à Ventre Roux, la belle affaire !
En fait, ce matin là au Banco, j'étais bien sûr venu pour trouver l'Autour Tachiro.